Plus encore que les autres domaines du management, la gestion des ressources humaines est une discipline récente. Elle ne s’est réellement structurée que depuis une vingtaine d’années, en prenant son autonomie par rapport au droit ou à la sociologie du travail. Aujourd’hui, elle possède une association avec un congrès annuel, dispose d’une revue scientifique. Et offre un ensemble de formations bien identifiées.
Car l’enseignement de la GRH est en plein essor. Les universités ont multiplié les programmes spécialisés. On compte une vingtaine de DESS, au contenu très concret (rémunération, droit du travail, dispositifs de formation, etc.), qui préparent des diplômés rapidement opérationnels à des postes comme assistant DRH ou adjoint au responsable de la formation. Beaucoup plus orienté vers la recherche, le DEA en gestion des ressources humaines et des relations sociales, à l’université Paris-I, forme notamment des consultants. Au programme, théorie des organisations, ressources humaines en général et méthodologie de recherche. On trouve aussi diverses options spécialisées en GRH au sein des DEA de gestion. Quant aux programmes de deuxième cycle (maîtrise), ils mettent en général l’accent sur les aspects techniques de la GRH : droit du travail, rémunération, recrutement, parcours de carrière, etc.
Pour les écoles de gestion, l’approche est différente. « La plupart de nos diplômés n’exerceront pas une fonction de ressources humaines ; mais ils auront un rôle à jouer dans la GRH de l’entreprise », explique Maurice Thévenet, directeur de l’Essec. Résultat, seules quelques écoles proposent un mastère spécialisé : management des hommes et des organisations à l’ESCP, management européen des ressources humaines à l’ESC Clermont, gestion des ressources humaines et mobilité internationale à l’ENS Cachan. Mais toutes intègrent dans leur cursus des notions de GRH, chacune à sa façon. En insistant, là aussi, sur les outils pratiques. A l’Essec, par exemple, la discipline est abordée sous trois angles. D’abord, les techniques de base, en s’appuyant sur des études de cas ou des exercices pratiques. Ensuite, des éléments théoriques : sciences humaines, sociologie… Troisième volet, le travail effectué par chaque élève sur sa personnalité : il lui permet aussi de mieux comprendre les situations relationnelles. En outre, parmi les enseignements électifs, le cours consacré aux techniques de GRH est l’un des plus demandés.
S’ajoutent encore les enseignements proposés par les principaux organismes de formation continue, avant tout sous la forme de séminaires courts et pratiques.
A l’écoute des entreprises
Pourtant, cette multiplication des formations à la GRH ne fait pas l’unanimité. Certains spécialistes s’inquiètent du manque de débouchés, et appellent de leurs voeux un écrémage. « Même les diplômés issus de formation de haut niveau risquent d’avoir du mal à trouver un emploi », estime Jacques Rojot, directeur de l’UFR gestion-Sorbonne à Paris-I. Sans compter que les entreprises privilégient les profils avec expérience professionnelle. Conséquence, le nombre des diplômés des DESS en cycle initial plafonne depuis 1992 autour de 350, alors que les effectifs en formation continue sont en forte croissance.
Deuxième point à souligner : la coopération étroite avec les entreprises, assurément l’un des axes forts de la discipline, à l’université comme dans les écoles. Des praticiens de la GRH interviennent dans les enseignements, des enseignants-chercheurs font du conseil en entreprise. De la sorte, les formations intègrent vite les dernières évolutions. « L’arrêt de la Cour de cassation dans l’affaire de la Samaritaine a immédiatement figuré dans nos enseignements », indique Jacques Rojot. Un bémol, toutefois : pour l’heure, les PME restent largement à l’écart de ces échanges, faute de temps et de moyens.
Les méthodes pédagogiques utilisées reflètent d’ailleurs cette proximité avec les entreprises : les études de cas occupent une place de choix, les travaux dirigés font régulièrement appel à des responsables fonctionnels. Il existe aussi des simulations, et même des jeux d’entreprise sur ordinateur.
Dans cette coopération, la recherche joue un rôle moteur et alimente largement la formation _ en dépit des réticences de certaines firmes, qui hésitent parfois à ouvrir leurs portes aux universitaires. Parmi les principaux thèmes traités, on peut citer les politiques de rémunération, la formation, ou la qualité. Autres domaines explorés : l’audit social, la participation financière. En revanche, la recherche est quasi inexistante sur le thème des relations professionnelles et du dialogue direction-syndicats.
Reste que l’enseignement de la GRH est loin d’être figé. D’autant que la fonction, à l’instar de ce qu’on observe déjà aux Etats-Unis, devrait connaître une double évolution. Elle va en effet être plus décentralisée vers les hiérarchiques _ ingénieurs et managers. Dans le même temps, les directions des ressources humaines se consacreront davantage à la négociation (collective et individuelle), en faisant appel au besoin à des spécialistes (en ingénierie de la formation, en gestion des carrières, etc.), qui pourront être externalisés. De plus, l’essor des réseaux types Intranet devrait accentuer le mouvement, en permettant d’accéder aisément à de l’expertise.
A la clé, un vaste remodelage des formations. « L’enseignement dispensé en France est sans doute trop généraliste », estime Bruno Sire, professeur à Toulouse-I et président de l’AGRH (1). « Il va devoir s’adapter à l’évolution des entreprises, comme c’est déjà le cas outre-Atlantique. Nous sommes au début d’un processus de reengineering de la formation dans la discipline. »
JEAN-CLAUDE LEWANDOWSKI